La microfluidique : un monde invisible aux possibilités infinies (1/2)
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La microfluidique est la science de l’écoulement des fluides ainsi qu’une technologie de la manipulation des fluides à l’échelle micrométrique (de l’ordre du millième de millimètre). Ces fluides peuvent être monophasiques ou polyphasiques. Grâce à cette technologie, il est possible de réaliser de véritables laboratoires miniaturisés qui tiennent sur des puces d’environ 1 centimètre carré (lab-on-a-chip) et qui permettent de faire des analyses très rapides avec un minimum de réactifs.

Domaine en plein essor, la microfluidique s’inspire de certaines propriétés et fonctions du vivant. Par exemple, l’arbre draine la sève vers ses milliers de feuilles grâce à un réseau de millions de capillaires microscopiques et de vannes. Le corps humain utilise également ces principes au travers du système circulatoire, en particulier les capillaires sanguins, les petits vaisseaux pour lesquels s’effectuent les échanges gazeux, de nutriments et des déchets entre le sang et les tissus du corps.

Les capillaires sanguins utilisent les principes de la microfluidique pour gérer les échanges de flux sanguins

La microfluidique comme technologie, émergeant dans les années 1950-60 avec des avancées dans les semi-conducteurs et la microfabrication, a connu un essor considérable dans les laboratoires de recherche durant les années 1980-90, explorant la manipulation de fluides à l’échelle micrométrique. L’arrivée des dispositifs “lab-on-a-chip” au tournant du millénaire a marqué une révolution, intégrant plusieurs fonctions de laboratoire sur une seule puce et ouvrant des voies dans le diagnostic médical, la biologie moléculaire ou la chimie analytique. Plus récemment, l’accent a été mis sur l’intégration et la miniaturisation, menant à des applications plus avancées en biotechnologie et médecine personnalisée.

Si la microfluidique reste un domaine technique, il n’en reste pas moins qu’elle est aujourd’hui utilisée dans quelques secteurs qui touchent à notre quotidien. Les tests de grossesse ou de diabète utilisent des principes microfluidiques pour détecter des hormones ou la glycémie dans de petites gouttes de sang ou d’urine. Les tests de détection de la grippe ou de la Covid-19 reposent également sur ses principes. On trouve également ce procédé dans le domaine de l’impression jet d’encre où la technique est utilisée à des fins d’ultra précision.


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Le marché de la microfluidique

Le marché mondial de la microfluidique est en pleine expansion, avec des applications variées et en constante évolution. En 2023, la taille de ce marché a été estimée à environ 28,38 milliards de dollars avec une valeur potentielle de 56,57 milliards de dollars d’ici 2028. Cette croissance est attribuée à plusieurs facteurs, notamment l’augmentation de la demande pour les diagnostics au point de service (le diagnostic au point de service offre une détection rapide des maladies par rapport aux autres méthodes conventionnelles utilisées), l’adoption croissante de la technologie microfluidique dans diverses applications médicales et de recherche, et les innovations technologiques continues dans ce domaine. L’explosion des maladies comme les cancers (on parle de près de 29 millions de nouveaux cas en 2040) participe également à la forte croissance du marché.

L’Amérique du Nord est actuellement le leader du marché de la microfluidique, en grande partie grâce à son industrie médicale puissante et à l’adoption élevée de nouveaux traitements. La région investit fortement dans la recherche et le développement, contribuant ainsi à la croissance du marché. Sur ce continent, le taux de croissance devrait atteindre près de 10,5% par an.

Marché de la microfluidique aux États-Unis selon les technologies (Source : Grand View Research)

Quant à l’Europe et la France, selon un rapport sur le marché européen de la microfluidique, publié en mars 2023, une croissance du marché de 18,4 % est attendue de 2023 à 2028, pour une valeur de 11,8 milliards de dollars en 2028. Cette croissance est due à l’augmentation des maladies chroniques et infectieuses, à la demande croissante de tests de diagnostic rapide et aux avancées technologiques en microfluidique.

Le monde à l’échelle microscopique

Comprendre ce que signifie “micro” en microfluidique

Le terme “micro” se réfère à l’échelle à laquelle les fluides sont manipulés et étudiés. À cette échelle minuscule, celle du micromètre, les fluides se comportent différemment que dans des systèmes plus grands. Les effets de la tension superficielle, de la viscosité et des forces capillaires deviennent beaucoup plus significatifs que la gravité qui régit les lois au niveau macroscopique. De plus, le flux dans les microcanaux est laminaire, ce qui signifie que les fluides s’écoulent en couches parallèles sans turbulence. Cette particularité permet un contrôle précis et prévisible des fluides, essentiel pour les réactions chimiques et biologiques dans les dispositifs microfluidiques. Les techniques de mélange des fluides, à l’échelle micro, sont la diffusion (déplacement très lent des fluides d’une zone de forte concentration vers une zone plus faiblement concentrée), le mélange actif (agitation par forces électriques ou acoustiques ou en venant perturber le flux laminaire) ou la conception de canaux propres à augmenter l’interface entre les fluides conduisant à des mélanges de ces derniers (canaux en zigzag, en serpentin).

Comparaison avec les systèmes macroscopiques : Avantages et défis de la microfluidique

La microfluidique présente de nombreux avantages comparativement à des systèmes macroscopiques. Elle offre une précision et un contrôle accrus sur les fluides, grâce aux flux laminaires et à une gestion efficace de la température et des réactions chimiques. Cette précision permet une utilisation réduite de réactifs et d’échantillons, ce qui est économique et écologique. En outre, elle permet d’accélérer la vitesse des analyses et des diagnostics réalisés à partir de fluides. À titre d’exemple, elle permet d’obtenir différents taux d’hormones à partir d’une goutte de sang, et ce en quelques minutes. Grâce à elle, il est possible de réaliser un séquençage d’ADN en quelques heures. Les outils microfluidiques permettent, par ailleurs, de mener plusieurs analyses en parallèle et d’effectuer des analyses à partir de très petites quantités d’échantillons (une seule cellule dans le cadre de l’analyse en cellule unique). Chaque gouttelette devient alors un laboratoire dans lequel toutes sortes d’analyses peuvent être réalisées.

Architectes de l’infiniment petit

Techniques de fabrication : De la photolithographie à l’impression 3D

La microfluidique est une technologie qui nécessite l’impression de systèmes miniaturisés capables de reproduire les phénomènes naturels liés à la mécanique des fluides à l’échelle micro. Pour cela, il existe différentes techniques que nous pouvons lister :

  • Lithographie douce : cette technique implique l’utilisation de polymères élastomères pour créer des microcanaux et des structures. Elle est souvent utilisée pour la fabrication de dispositifs microfluidiques à coût réduit.
  • Photolithographie : utilisée pour créer des motifs fins sur un substrat, généralement du silicium ou du verre, en exposant une couche photosensible à la lumière ultraviolette à travers un masque.
  • Gravure à l’acide : cette méthode est utilisée pour graver des canaux et des structures dans des substrats solides comme le verre ou le silicium grâce à l’acide fluorhydrique.
  • – Impression 3D : L’avènement de l’impression 3D a permis de créer des dispositifs microfluidiques complexes avec une grande précision et une grande flexibilité de conception.
  • – Injection de polymère : cette technique consiste à injecter un polymère liquide dans un moule, qui est ensuite durci pour former la structure souhaitée.
  • – Micro-usinage : cela implique l’utilisation de techniques de fabrication de précision pour créer des microstructures dans divers matériaux.
  • Goutte-à-goutte microfluidique : cette technique manipule des gouttelettes d’eau dans une phase d’huile, permettant des expériences hautement contrôlées et des réactions chimiques.
  • Électrophorèse sur puce : cette méthode utilise des champs électriques pour manipuler et séparer les molécules dans des microcanaux. Grâce à l’électrophorèse, il est possible de séparer des fragments d’ADN et d’ARN en fonction de leur taille et de leur charge électrique grâce à leur migration à travers un matériau poreux (gel), les visualiser par coloration, et déterminer la teneur en acides nucléiques ou en protéines dans un échantillon.
  • Microfluidique basée sur papier : on utilise des substrats de papier pour créer des dispositifs microfluidiques bon marché et jetables, souvent utilisés dans les tests de diagnostic.
Dispositif microfluidique sur plaque (Source : nanoresearch-kyoto.co.jp)

Des dispositifs conçus selon les différentes applications.

Lab-on-a-Chip (LOC)

Le “laboratoire sur puce” en microfluidique désigne un dispositif qui intègre plusieurs fonctions et tâches habituellement réservées aux laboratoires sur une seule puce de taille réduite (de l’ordre d’une carte de visite). Ces puces permettent des analyses biomédicales complexes avec de faibles volumes d’échantillons et à haute vitesse. Par exemple, elles sont utilisées pour des tests de diagnostic médical rapides et précis, y compris l’analyse de l’ADN. Des start-ups innovantes dans ce domaine incluent StandardBioTools, spécialisée en génomique et protéomique, et uFluidix, qui développe des solutions microfluidiques personnalisées pour diverses applications comme le développement de nouveaux traitements, de nouvelles molécules ou la réalisation d’organes-sur-puce. Ces technologies transforment la recherche biomédicale, rendant les diagnostics plus accessibles et plus rapides.

Puces microfluidiques pour PCR (Réaction en Chaîne par Polymérase)

Les puces microfluidiques pour la réaction en chaîne par polymérase (PCR) révolutionnent la manière dont les tests génétiques sont effectués. Ces puces, intégrant de minuscules canaux et chambres, permettent d’automatiser et de miniaturiser la PCR, un processus essentiel pour amplifier de petites quantités d’ADN. Ce système améliore la rapidité et la précision des tests, tout en utilisant des volumes d’échantillons et de réactifs beaucoup plus faibles par rapport aux méthodes traditionnelles. Ces avancées sont cruciales dans divers domaines, tels que la médecine personnalisée, la recherche génomique, et le diagnostic rapide de maladies.

Dispositifs de Séquençage d’ADN

Les puces microfluidiques pour la réaction en chaîne par polymérase (PCR) révolutionnent la manière dont les tests génétiques sont effectués. Ces puces, intégrant de minuscules canaux et chambres, permettent d’automatiser et de miniaturiser la PCR, un processus essentiel pour amplifier de petites quantités d’ADN. Ce système améliore la rapidité et la précision des tests, tout en utilisant des volumes d’échantillons et de réactifs beaucoup plus faibles par rapport aux méthodes traditionnelles. Ces avancées sont cruciales dans divers domaines, tels que la médecine personnalisée, la recherche génomique, et le diagnostic rapide de maladies.

Capteurs Microfluidiques

Ces dispositifs détectent la présence de substances chimiques ou biologiques spécifiques dans des échantillons. Ils sont largement utilisés dans la surveillance environnementale et la détection de maladies. On les trouve également en cosmétique puisque, par exemple, L’Oréal (en partenariat avec La Roche-Posay) a présenté en 2019 le prototype de capteur microfluidique portable, My Skin Track pH, qui mesure les niveaux de pH de la peau et évalue les déséquilibres potentiels souvent signes de maladies dermatologiques.

Microréacteurs

Un microréacteur est un appareil à très petite échelle dans lequel des réactions chimiques peuvent avoir lieu. En règle générale, il mesure moins de 2.54 cm de longueur et de largeur et peut-être moins d’un seizième de pouce (1.56 mm) d’épaisseur, bien que les dimensions varient. Ils sont utilisés pour la synthèse chimique et les études de réactions à petite échelle, offrant un contrôle précis sur les conditions de réaction.  Le rapport surface/volume élevé permet aux réactions de se dérouler plus rapidement et souvent à une température plus basse que ce qui est possible à plus grande échelle. On trouve des microréacteurs dans la plupart des domaines impactés par la technologie microfluidique : la synthèse chimique, la cinétique chimique et l’étude des réactions chimiques, la production de nanoparticules, la recherche biomédicale ou encore la production de biocarburant.

Puces pour la Culture Cellulaire

Ces dispositifs permettent la culture de cellules dans des environnements contrôlés, utiles pour la recherche biomédicale et le développement de médicaments. Les puces pour la culture cellulaire sont généralement composées de canaux microfluidiques permettant la manipulation précise de très petits volumes de fluides, fournissant un environnement contrôlé pour la croissance et l’étude des cellules. Les applications sont variées et incluent la recherche biomédicale (étude de cancers, des maladies infectieuses), le développement de médicaments, la toxicologie, et l’ingénierie tissulaire. Elles sont également utilisées pour les tests de médicaments et le criblage de composés pharmaceutiques. Certaines puces de culture cellulaire sont conçues pour permettre la culture de cellules en trois dimensions, offrant un environnement plus proche des conditions in vivo. C’est la technologie que propose InSphero basée en Suisse, avec sa solution Akura.

Dispositifs de Tri Cellulaire

Ils sont utilisés pour trier et analyser différents types de cellules, utiles en recherche en immunologie et en oncologie. Le tri cellulaire microfluidique utilise des forces physiques ou chimiques pour séparer les cellules en fonction de leurs caractéristiques spécifiques, comme la taille, la forme, la densité, ou les marqueurs de surface. Il existe diverses techniques comme la séparation mécanique (Utilise la taille et la forme des cellules pour les séparer.), la séparation par force acoustique (Emploie des ondes sonores pour déplacer les cellules en fonction de leur densité et de leur compressibilité.), le triage magnétique (Utilise des particules magnétiques attachées à certaines cellules. Lorsqu’un champ magnétique est appliqué, ces cellules sont déplacées et séparées des autres.) ou la séparation par affinité (Implique l’utilisation d’anticorps ou d’autres biomolécules spécifiques pour lier et isoler certains types de cellules.)

Organes-sur-Puces

À l’heure où les essais précliniques (qui permettent de tester l’efficacité et la toxicité d’un médicament avant qu’il ne fasse l’objet d’essais cliniques chez l’homme) sont très longs, couteux et obtiennent des taux de conversion en essais cliniques très faibles (les cultures cellulaires en boîtes de Petri ne reproduisent pas fidèlement le fonctionnement des tissus humains et les essais sur animaux ne sont pas des essais sur l’homme), un nouveau modèle miniature, imitant parfaitement le corps humain, a été mis au point : les organes sur puce. Ils reproduisent fidèlement les fonctions des organes humains sur une puce, fournissant des modèles pour la recherche en toxicologie et en pharmacologie et dans le développement de nouveaux médicaments et de nouveaux traitements.

Le poumon sur puce peut imiter les capacités physiques et mécaniques d’un poumon humain. Wyss Institute for Biologically Inspired Engineering, Harvard University

Les organes sur puce ont ceci d’intéressant qu’ils permettent non seulement la circulation de fluides dans des microcanaux, mais en plus, ces plateformes sont dotées de microchambres qui permettent d’intégrer différents types de cellules présentes dans les organes humains et donc de simuler le comportement des ces organes. Le modèle de poumon sur puce, par exemple, est capable d’intégrer les qualités mécaniques et physiques d’un poumon humain vivant. Il est capable d’imiter la dilatation et la contraction, ou l’inspiration et l’expiration, du poumon et de simuler l’interface entre le poumon et l’air. La capacité de reproduire ces qualités permet de mieux étudier la déficience pulmonaire en fonction de différents facteurs. S’ils sont prometteurs, ces technologies sont encore difficiles à utiliser. De plus, comme il s’agit de modèle à usage unique, la mise en œuvre est couteuse en temps et en main-d’œuvre.

Dispositifs de Microfluidique basée sur Papier

 Le principe est simple : on prélève un échantillon d’un fluide (une goutte suffit) qu’on stocke sur un papier buvard prévu à cet effet qui est ensuite introduit dans une « puce microfluidique » afin d’y mener les analyses. Terminés les stocks de prélèvements et dans le cas des analyses sanguines, les piqures à répétition. On imagine le potentiel d’une telle innovation dans les pays où stocker et transporter des échantillons est un enjeu crucial de santé publique.


Cliquez ci-dessous pour continuer la lecture vers la 2ème partie de la note de veille, sur les domaines d’applications de la microfluidique et les témoignages d’Emulseo et HEKAT.

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février 22, 2024